22 Mai 2015
J'ai grandi dans une petite maison en briques brunes le long d'un canal. C'est sur ses quais que j'ai appris à rouler en vélo avec mon papounet. Plus tard, le vélo maîtrisé et alors qu'il y avait moins de risque qu'un faux mouvement me jette dans son eau noire à la surface huileuse, on a avalé les kilomètres à la pelle le long de ses berges... On s'arrêtait en bordure d'une darse, on déposait nos vélos dans les hautes herbes et on grimpait sur un tas composé de vieilles billes de chemin de fer et de poutre métalliques rouillées par des années d'intempéries. Là, le rituel avait lieu. On jouait au "restaurant". Papa était le client tour à tour victime d'une serveuse hargneuse, d'un chef distrait ou peu doué ou bien éternel insatisfait que je finissais par flanquer à la porte avec son assiette de soupe en guise de couvre-chef. Bref, on n'était jamais à court d'imagination. Puis, la randonnée reprenait dans un paysage tantôt sauvage tantôt marqué par la main de l'homme, l'odeur et le bruit des machines.
A l'aube de mon dixième anniversaire, un déménagement nous emmena loin du canal, à l'ombre d'un terril. D'autres aventures dans un environnement étranger m'y attendaient... mais ça, c'est une autre histoire.
Près de 25 ans après mes adieux à "mon" canal et son restaurant - sans aucun doute détruit depuis longtemps - j'ai retrouvé péniches, mouettes et goélands de mon enfance non loin des quais d'une autre "voie navigable artificielle". Mêmes usines peuplant les quais, mêmes camions déversant leur lourd chargement, mêmes brouhaha assourdissant, mêmes odeurs de pétrole et d'égouts, mêmes poissons morts à la surface des eaux noires, mêmes baraquements de stockage, mêmes péniches filant sans bruit, mêmes canards se laissant bercer par les remous... mais la petite fille qui fait signe, fascinée, aux bateliers, c'est la mienne. On les a écumées les berges de ce canal! Par tous les temps. A pieds, en vélo, à trottinette... à tel point que, certaine d'avoir tout vu, je m'en suis lassée. Et pourtant...
Une photographe a réussi à raviver ma curiosité et mon envie de poursuivre l'exploration. Pendant plusieurs mois, Chantal a sillonné le tracé du canal sur toutes les communes qu'il traverse et l'a immortalisé. Tantôt bucolique, tantôt dévasté, le paysage lui a offert sans pudeur ses différents visages. Voici son point de vue sur cette zone méconnue, certes hostile au premier abord, mais riche de ce charme teinté de nostalgie propre aux environnements industriels du 19ème siècle.
Le canal traverse la région bruxelloise du Nord au Sud en passant à l’Ouest du Pentagone. Il relie Anvers, Bruxelles et Charleroi. Majoritairement industrialisé au XIXème siècle, le tissu urbain des quartiers limitrophes est aujourd’hui fragilisé. Il subit les conséquences souvent néfastes de la transformation d’une zone industrielle en une ville post-industrielle. Elle a dû faire face à la délocalisation d’une grande partie de ses activités économiques et à l’appauvrissement de la population locale. Densément habités, ces lieux recensent une population multiculturelle, jeune, peu qualifiée. On y observe un taux de chômage parmi les plus élevés du pays. Des friches et des bâtiments industriels mal affectés ou abandonnés parsèment les abords du canal et stigmatisent trop souvent ces quartiers. Le parc de logement y est obsolète et les besoins en équipements collectifs et en espaces verts et publics sont manifestes.
Considéré comme le croissant pauvre, ce périmètre occupe une place privilégiée sur l’agenda politique. De nos jours, ces quartiers bénéficient de l’octroi de diverses aides régionales, fédérales et européennes en matière de cohésion sociale, de développement économique, de rénovation de logements, de revalorisation du patrimoine local et de l’amélioration du cadre de vie et des espaces publics défraichis ou peu adaptés aux besoins des habitants. Un changement est actuellement en cours. Des projets s’organisent afin de tirer profit des atouts de ce territoire et d’en promouvoir sa fonction au sein de la capitale. De nouveaux investissements privés y côtoient de nombreuses initiatives publiques.
L’avenir du territoire du canal a récemment fait l’objet d’une étude pilotée par l’architecte paysagiste français, Alexandre Chemetoff. En collaboration avec deux bureaux belges, ils ont notamment identifié les nombreux enjeux urbanistiques, socio-économiques et démographiques afin de définir une démarche d’aménagement intégrée pour l’ensemble du territoire du canal à Bruxelles.
Sensible à l’évolution de ce territoire, j’ai tiré profit du workshop de photographes H-Urban de l’atelier Contraste pour sillonner ces quartiers pendant plusieurs mois durant l’année 2013. Ce travail m’a amené à photographier divers lieux dont certains n’existent déjà plus et d’autres qui sont voués à disparaître bientôt.
Pour admirer l'oeuvre de Chantal, rendez-vous jusqu'au 29 mai, de 8h à 22h à:
l'Entrepôt Royal, Tour&Taxis
Unit B2 - B2Art, située à proximité de la boutique "Les Bijoux de Marie France"
Avenue du Port 86c à 1000 Bruxelles
Et mon petit doigt me souffle que si vous vous y rendez aujourd'hui de 16 à 18h, vous aurez la chance de rencontrer Chantal et de profiter de ses explications et anecdotes!
Bonne visite!
Canal - Photographies de Chantal Vanoeteren
Dans le cadre de ce travail, Chantal Vanoeteren explore l'évolution du paysage urbanistique des abords du canal à Bruxelles. En 2013, elle a sillonné ce territoire pendant plusieurs mois pour y ...
http://www.tour-taxis.com/fr/newsletter-fr/1230-canal-kanaal-photographies-de-chantal-vanoeteren
Ces photos sont la propriété de l'artiste et ne sont pas libres de droit. Merci de la contacter avant toute reproduction!
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