Les tentures filtrent une faible lueur bleutée. Il fait encore nuit.
Mon réveil est brutal et enfiévré.
Quelques minutes me sont nécessaires pour réaliser que je suis assise dans mon lit et qu'a priori, tout va bien.
Il ne s'agissait que d'un rêve. Un affreux cauchemar.
Une piscine naturelle ou une mare dans un grand jardin. En son milieu, trône une plate-forme rocheuse aux contours irréguliers couverts par endroits de mousse et autres végétaux. Sa surface est délimitée par un grillage de fer.
D'un petit attroupement d'enfants qui semblent paniqués, les yeux et le corps tournés vers une cavité située dans la roche juste sous la surface de l'eau, émanent des cris.
Mon sang se fige alors que je crois reconnaître une modulation sonore familière.
En quelques secondes, une éternité, mon cerveau l'interprète, la traduit: Thaïs.
"Thaïs?" Je crie en me levant et en me précipitant sur la rive, inquiète de ne pas la repérer parmi les petits baigneurs.
Une petite fille, la peau sombre luisante sous le soleil, les cheveux frisés relevés en couettes, se tourne vers moi, pointe son index droit vers l'anfractuosité et me répond, bouleversée: "elle est là!"
Je m'enfonce dans l'eau, tout habillée. Je fonce vers ce trou béant que la fillette m'indique. "On n'arrive pas à l'attraper" me crie-t-elle encore.
Je plonge, yeux grands ouverts, dans l'eau froide.
Les voix stridentes résonnent, assourdies, à mes oreilles.
Je ne distingue d'abord qu'un écran noir, de la poussière, de la terre en suspension.
Puis une masse compacte de végétaux d'un vert profond, irréel, presque phosphorescent, qui ondulent au ralenti, marionnettes à la merci du courant.
Et soudain, parmi les tiges emmêlées, apparaissent soudain une main et un avant-bras.
Leur immobilité contraste avec le ballet qui se déroule autour d'eux et leur pâleur jure contre les ténèbres de la cave sous-marine.
Je reconnais ses bracelets...
Ma main droite se précipite et se referme sur la sienne, glacée, inerte. Mon autre main enserre son bras, je tire de toutes mes forces. La vase glisse sous mes pieds. Je manque d'air, mais je refuse de la lâcher.
Le linceul végétal, aux ramifications enroulées le long de ses hanches et de ses jambes, résiste. Mon pied est à son tour ligaturé et repose sur un objet que j'identifie comme étant l'une de ses sandales. C'est ce qui me permet de prendre appui, de lui ceinturer le buste de mes bars et, enfin, de faire émerger sa tête de l'eau.
Je la pose, contre la mienne, sur mon épaule. Je maintiens son corps à la verticale, épousant le mien. Son menton dans mon cou, j'appuie sur son ventre, en reculant, en trébuchant, pour nous sortir de ce piège aquatique.
On arrive près de la berge. Elle crache, tousse, se vide de toute l'eau avalée. Elle ouvre les yeux et murmure "maman..."
Le contact de sa main glacée dans la mienne était d'un réalisme alarmant. J'en garde le souvenir dans ma paume depuis l'aube. Il me suffit de me rejouer la scène mentalement pour que la trace, la brûlure s'intensifie.
Il ne s'agit pas, comme d'aucuns pourraient le suggérer, d'une impression. C'est bien plus fort, plus lourd que cela. La sensation est réelle, j'en sens le poids et j'en sens le froid, au point que je m'étonne que mes doigts ne rencontrent que le vide lorsqu'ils se referment.
L'écrit cicatrise, exorcise, dit-on.
De tout coeur, je l'espère.
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