7 Septembre 2018
Sur une plage de la Ria* d'Etel, à Plouhinec, dans le Morbihan, gisent des épaves. L'endroit porte le nom de cimetière du Magouër.
Rien n'indique quand elles se sont posées là, mais leur bois délavé, leurs clous apparents, leur charpentes désossées nous soufflent que leur sommeil n'est pas récent.
Ces thoniers ont-ils été victimes des mouvements de la capricieuse Barre d'Etel*? Ou s'agit-il d'un endroit ou les capitaines laissaient leurs navires se reposer après une vie passée à écumer les flots?
Le paysage incite à la rêverie, à l'élaboration de scénarios fantastiques...
A marée basse, les vestiges des carcasses éventrées se dessinent contre le ciel. On devine dans le sable la forme des épaves les plus abîmées. Parfois, on déambule un moment sans réaliser que l'on a les pieds à l'intérieur même d'une coque dont il ne reste que quelques poutres rongées par le sel et le vent, disposées en arc-de-cercle.
A marée haute, les parties immergées de ces géants de bois redeviennent le royaume des algues, le refuge des crustacés, le terrain de chasse des poissons...
Tremper les pieds à proximité des coques peut s'avérer dangereux. Balayé par les mouvements des vagues, le sable a recouvert certains éléments tranchants ou pointus. On aperçoit, se détachant des parois de bois, de nombreuses barres de fer, de gros clous rouillés...
Dans un cimetière, le capitaine laisse son bateau en paix. Il peut l’observer revenir à la nature avec le temps.
Qui me connaît bien sait la terreur qu'ont toujours générée en moi les coques des navires.
Depuis l'enfance, leur proximité me paralyse. J'éprouve un sentiment de vertige et d'inquiétude, de l'insécurité. Leur tourner le dos ne m'est possible qu'au prix d'un gros effort. Les approcher, souvent, ne l'est pas.
L'angoisse est décuplée lorsque les bateaux se trouvent dans l'eau ou, pire encore, lorsqu'il sont totalement immergés.
En écrivant ces derniers mots, je réalise que ma peur s'étend aussi à tout objet imposant immergé.
Deux souvenirs me traversent l'esprit.
Le premier concerne les images parues dans le Paris Match à l'époque où l'épave du Titanic a été découverte. Je n'exagère pas en disant que j'ai feuilleté le magazine du bout des doigts de la main gauche, le bras tendu, debout, prête à fuir, toutes lumières allumées et... accompagnée. Seule, je n'aurais même pas jeté un oeil à la couverture.
J'ai gardé, dans une farde, les pages en question. Elle est à l'étage et je ne l'ouvre jamais. Il m'arrive de frissonner rien qu'en me rappelant que les images s'y trouvent... d'un bleu intense, sombre comme seuls les fonds marins peuvent l'être, représentant le trou béant d'une des cheminées écroulées, le majestueux escaliers du restaurant baignant dans un froid sépulcral et un silence mortuaire...
Mon deuxième souvenir concerne un séjour à Oslo et un passage obligé au musée des navires vikings de Bygdoy. J'ai cru être victime d'une attaque tant mon souffle était court. Les membres gourds, je n'ai pu que me hisser en-haut des escaliers menant à des petites mezzanines installées autour des Drakkar. Les voir de haut m'a paru moins effrayant. Par contre, j'ai dû lutter pour ne pas crier aux gens qui, en-bas, tournaient autour de ne pas s'en approcher, de se mettre à l'abri... mais à l'abri de quoi? Quand, dans une salle exposant plusieurs barques, les lumières se sont éteintes et des images de bateaux naviguant toutes voiles dehors ont été projetées sur la voûte du plafond et les murs, j'ai dû sortir... oui, j'en suis là.
Je me remémore aussi l'épisode où, ayant sauté du catamaran pour effectuer quelques brasses en toute décontraction dans les eaux turquoises de la côte corse, j'ai failli couler tout droit comme la statue de marbre que j'étais devenue lorsque j'ai réalisé que pour remonter sur le bateau... je devais m'en approcher. Stupide, n'est-ce pas? J'aurais été capable de nager les deux kilomètres qui me séparaient de la plage si le skipper ne m'avait pas lancé une corde et hissée à bord à la limite de l'apoplexie.
Je n'ai jamais vraiment trouvé d'explication à cette phobie. Mais y en a-t-il une?
Un jour, quelqu'un m'a dit que je souffrais de sous-mécanophobie ou peur des objets artificiels partiellement ou totalement submergés. Cependant, cette théorie n'est pas tout à fait juste puisque ma peur, en plus d'englober sous-marins et plateformes pétrolières, s'étend également aux icebergs et aux grands spécimens de la flore marine. De plus, elle concerne aussi certains objets non submergés comme les drakkars dont je vous parle plus haut.
En outre, je me rappelle avoir visité un petit sous-marin qui était à quai sans n'avoir ressenti d'autre émotion qu'une relative appréhension.
Quoi qu'il en soit, connaître l'appellation scientifique de cette phobie n'en réduira pas les effets...
Heureusement, dans ma vie quotidienne, je suis rarement confrontée à des choses telles que celles-ci:
Crédit photos: diverses sources recherche google image Submechanophobia
En toute transparence, effectuer cette sélection m'a coûté une crise d'angoisse, une chair de poule douloureuse et des nausées. Je n'exagère pas.
Quand je pense que mon oncle était scaphandrier dans l'armée belge... Rien que d'y penser...
Le temps était magnifique, ce jour-là, le vent doux, le soleil caressant. La veille, alors que nous nous étions installés à Etel, sur l'autre rive, pour déjeuner, j'avais repéré les belles endormies. J'y avais pensé jusque tard dans la nuit et résolu de me rendre sur le site afin de tenter de les approcher. Mieux valait une bonne trouille que des regrets. Et puis, s'évanouir sur le sable chaud le long d'une rivière, ça a un côté romanesque qui n'est pas déplaisant.
Marcher le long de la côte pour aller à leur rencontre a aidé à m'apaiser. Apercevoir le site au loin et m'en approcher lentement m'a permis d'appréhender le tête-à-coque avec plus de sérénité qu'à l'accoutumée.
J'ai pris le temps de défaire sans hâte les boucles de mes sandales, de poser mon sac, de respirer profondément et de me familiariser avec l'environnement. Le reflet argenté du soleil sur la mer, le bruit des vagues qui se jettent sur la berge, les cris des mouettes et des cormorans... une fois le tout intégré, assimilé comme faisant partie de mon être, j'ai pu me concentrer sur les épaves.
Pas à pas, pause à pause, les grains de sables collés aux chevilles tremblotantes, j'ai avancé.
Je suis arrivée à proximité du bateau le plus proche alors que Thaïs et Jack revenaient d'avoir fait le tour du site... tant pis, j'avais besoin de temps et je l'ai pris.
Ils ne m'ont pas parus hostiles, ces pachydermes endormis. Comme un gros chien qui vous tolère sur son domaine tant que vous le respectez et respectez sa tranquillité, ils m'ont laissé errer entre leurs corps alanguis, explorer leurs entrailles, flatter leurs flancs... car j'ai poussé l'audace jusqu'à oser laisser courir ma main sur le bois presque momifié de leurs coques.
Revoir ces photos produit chez moi un effet ambigu. D'un côté, il y a cette réaction épidermique, cet instinct de survie qui génère une terrible angoisse. A posteriori, je me demande "mais comment ai-je pu?" D'un autre, c'est la fierté qui prévaut parce que, effectivement, ces clichés prouvent que j'ai pu!
Ce n'est pas demain que j'irai faire un coucou au Christ des abysses, ni aucun autre jour d'ailleurs, mais pouvoir me promener entre ces bateaux échoués fut, pour moi, à mon niveau, une belle victoire sur l'une des trop nombreuses phobies qui freinent mes élans au quotidien...
Une dernière chose qui n'a rien à voir avec une quelconque phobie, à moins que n'ayez peur du tissu, si vous aimez la robe que je porte, sachez que je vous en parlerai bientôt car son relooking est le fruit de mes mimines et je n'en suis pas peu fière!
La barre d'Etel est un banc de sable sous-marin formé par les courants qui se croisent à l'entrée de la Ria, au point de rencontre de la marée et du cours de la rivière. Le banc de sable rend difficile l'entrée de la ria car il se déplace au gré des vents et des courants. L'endroit est riche de dramatiques histoires comme celle du chavirage du canot de sauvetage d'Alain Bombard le 3 octobre 1958, où périrent 9 personnes.
*rivière
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